Danger: les chiens transportent la peste
Les faits remontent à un peu moins d’un an, au 28 juin 2014 précisément, dans le Colorado (Etats-Unis). Ce jour-là, un homme d’âge moyen, jusqu’alors en bonne santé, commence à avoir de la fièvre et à tousser. Le lendemain, les symptômes s’aggravent: il crache du sang. Hospitalisé, les médecins diagnostiquent une pneumonie. Six jours plus tard, devant l’aggravation de son état, il est transféré en réanimation et est intubé. Les analyses sanguines détecteront au test moléculaire PCR la présence de Yersinia pestis, le bacille de la peste. Le patient recevra deux antibiotiques et sortira guéri après 23 jours d’hospitalisation.
Cherchant à comprendre l’origine de cette peste pulmonaire, une infection très rare aux Etats-Unis où l’on ne dénombre seulement 8 cas par an en moyenne dans des régions semi-rurales, les médecins découvriront vite que leur patient est le propriétaire d’un chien, un Pit-bull âgé de deux ans, qui avait développé une fièvre, une rigidité des mâchoires et un trouble de coordination des membres antérieurs quatre jours avant le début de la maladie de son maître. Amené dans une clinique vétérinaire, l’animal sera euthanasié du fait de graves difficultés respiratoires et de vomissements de sang. Tout au long de l’agonie du chien, son propriétaire ne l’avait pas quitté, restant très proche de lui. Une fois malade, il s’est résigné à autoriser à ce que des examens biologiques soient pratiqués sur la dépouille de l’animal. Les analyses (PCR et mise en culture) sur les tissus et organes de l’animal ont alors révélé la présence du bacille de la peste.
Dans le même temps, deux autres personnes, employées dans la clinique vétérinaire qui avait accueilli le chien pestiféré, développent des symptômes. Deux jours après les premiers signes de maladie chez le propriétaire du chien, une femme, qui avait été en contact étroit avec l’animal malade, présente une fièvre et de la toux. Une bronchite est diagnostiquée. Un traitement par antibiotique est débuté. Une semaine plus tard, le diagnostic de pneumonie est établi à l’hôpital. Cinq jours après, le bacille de la peste est isolé dans les crachats et la présence d’anticorps spécifiquement dirigés contre Y. pestis, preuve d’une infection récente, est retrouvé dans le sang.
Puis c'est au tour d’une autre employée de la clinique vétérinaire de se sentir mal. Elle se traite tout seule en prenant un antibiotique pour sa fièvre avec frissons. Elle se plaint de douleurs musculaires et d'une grande fatigue. Mais ses symptômes s’aggravent, laissant place à une sensation d’oppression thoracique et à une toux tenace.
Enfin, une autre femme qui avait été en contact étroit avec le premier patient tombe malade. Une pneumonie est diagnostiquée. Cette personne avait approché de près le Pit-bull quand il crachait du sang. Elle avait même porté la dépouille du chien et ses mains avaient alors été en contact avec le sang de l’animal. Comme les trois autres malades, cette patiente sera traitée avec succès.
Au total, ce sont donc quatre personnes chez lesquels le diagnostic de peste pulmonaire fut posé. Les trois premiers patients ont développé une pneumonie après avoir été en contact étroit avec le chien malade. L’origine de l’infection du quatrième patient est moins certaine dans la mesure où elle avait été en contact à la fois avec le chien (lors de la période d’incubation de la maladie de l'animal) et son propriétaire (au moment où celui-ci crachait du sang). Comme la période d’incubation de la maladie est habituellement courte, il est vraisemblable que cette personne ait été contaminée par le premier patient.
Ce quatrième cas de peste pulmonaire aurait donc pour origine une transmission interhumaine. Il faut remonter à 1924 pour trouver trace d’une observation semblable, en l’occurrence lors d’une épidémie de peste à Los Angeles. Seulement 74 cas de peste pulmonaire ont été recensés entre 1900 et 2012 aux Etats-Unis.
La peste a pour réservoir principal les rongeurs et est transmise entre ces animaux par piqûre de puces. Dans le Colorado, les chiens sont piqués par les puces des "chiens de prairie", des rongeurs qui creusent de vastes galeries souterraines. Ce sont les puces infectées que les chiens ramènent au domicile de leurs propriétaires.
Cette épidémie, résultat d’une transmission directe d’un chien à l’homme, constitue un événement d’autant plus rare qu'un seul cas semblable a été rapporté à ce jour. Il a été décrit en Chine en 2009. Ces observations sont également très inhabituelles dans la mesure où un chien infecté par Y. pestis ne développe généralement pas de symptômes ou seulement une fièvre qui cède d’elle-même.
Les vétérinaires devraient avoir à l’esprit qu’un animal domestique malade, notamment un chien, peut être atteint de peste dans les zones où cette affection sévit à l’état endémique chez les rongeurs, concluent les auteurs du Tri-County Health Department du Colorado, de la division des maladies infectieuses émergentes et zoonoses des CDC et des services de diagnostic vétérinaire de l'Université du Colorado, qui publient ces cas cliniques dans le numéro du bulletin épidémiologique des CDC (MMWR) daté du 1er mai 2015.