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> Une histoire au temps du Covid-19, ou comment fait-on le mur à 90 ans
Elle fêtera ses 89 ans en mai. Il fête ses 90 ans ce 10 avril. Ils sont épouse et époux depuis bientôt 66 ans. L’Ehpad de leur village les a accueillis, lui en septembre dernier, elle en décembre.
Les voilà tous les deux en rez-de-jardin, à quelques chambres d’écart. Et paf, un premier confinement : plus de visites extérieures. Et pif, un deuxième confinement : on ne bouge plus de sa chambre.
Ah oui, mais c’est que lui, il ne veut pas perdre son entraînement à mettre un pied devant l’autre. C’est qu’il était arrivé à enchaîner " huit tours de couloirs sans (s)’arrêter!".
Il commençait même à lâcher les mains du déambulateur ! Tous ces efforts depuis la mi-novembre, cette incroyable rééducation, le travail exemplaire de la kiné, ces muscles repris. Tout ça pour rester maintenant dans un fauteuil toute la journée ?!
Pas bouger, alité, ça a duré des mois depuis qu’il s’était fracturé une vertèbre thoracique il y a à peine plus d’un an. Maintenant qu’il a repris goût à la vie, il ne va pas se laisser enfermer. Et puis il veut aller la voir. Donc…
Donc il fait le mur.
Les deux-roues avant du déambulateur s’avancent et jettent un coup d’oeil à droite. Puis, celles de derrière jettent un coup d’œil à gauche. C’est bon. Au premier jour du confinement, l’oreille aussi tendue que possible (c’est pas simple, il est un peu (…) sourd), il a écouté s’il y avait du bruit dans le couloir, ouvert la porte. Personne à l’horizon. Alors zou, derrière le guidon, il enclenche la première. Le déambulateur file presqu’aussi vite que sa Clio Williams préférée." Pop pop pop. " Pas assez vite cependant pour échapper à une aide-soignante qui passait par-là. Damned, retour à la case départ. Pas question de se laisser abattre pour autant. Rebelle un jour, rebelle toujours. Il est content de continuer d’écrire sa légende… et laisse s’écouler quelques minutes avant de retenter sa chance. Bingo.
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> Une histoire au temps du Covid-19, ou comment fait-on le mur à 90 ans
" Tu sais qui est là ? " me dit-elle au téléphone, un sourire dans la voix. Je ne vois qu’une solution. "Eh oui ! Il est là, avec moi". Je crois qu’elle est contente, voire flattée, qu’il ait bravé les interdits pour venir la voir.
Lui, cache comme il peut sa fierté, en racontant son escapade de la veille. Il vient donc de la réitérer. Mais en plein récit… Toc toc toc.
Pétard, c’est l’heure du goûter. Il n’avait pas anticipé. De nouveau pris par la patrouille, qui cette fois-ci est compréhensive, lui propose comme si de rien n’était verre de jus de fruit et petit gâteau, et lui conseille simplement de ne pas rester trop longtemps.
Dès lors, en vrai sioux adoptif des confins de la Touraine, du Berry et du Poitou, chaque jour il quitte sa chambre avec ses chaussures en daim (dont les semelles couinent quand même un peu), entre la tournée du goûter et celle du dîner, persuadé d’être invisible.
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Une fois, alors que la baie vitrée avait été laissée entrouverte lors du ménage matinal, il a même tenté le coup en passant dehors. Seulement, vues de l’extérieur, toutes les piaules sont identiques. Laquelle est la bonne. Avec les rideaux, pas moyen de voir qui se trouve à l’intérieur.
Et bien sûr, personne n’a jamais pensé à mettre les numéros de chambre de ce côté-là de la vie. Pas de bol. Il est rentré bredouille.
Et puis en ce début de semaine, la psychologue a appelé pour nous prévenir très officiellement qu’ils savaient, qu’ils l’avaient observer, qu’il faisait attention, ne mettait pas ses mains partout dans les couloirs, et que il et elle respectaient les consignes en ne se tenant pas trop près l’un de l’autre. Alors, à la suite de la discussion en équipe, ils avaient décidé de l’autoriser à la rejoindre et qu’ils prennent même en toute légalité le goûter ensemble.
Fini le cache-cache. Le connaissant, ce petit piment va lui manquer.
Il et elle sont mes parents. Elle c’est Huguette. Il c’est Yves. (Merci à toutes celles et ceux de l’Ehpad qui font au mieux avec les conditions du moment.)
> -CM
Commentaires
ça m'intéresse car je crains de devoir rester confiné après le 11 mai. Je suggère consultation des dossiers médicaux pour décider quel vieux aura le droit de sortir ou non.
Pour ma part je suis un gros contributeur net à la Sécu et j'entends bien le rester en évitant absolument les médecins. Mais pour cela j'ai besoin de respirer et de sortir faire du roller sur la Promenade des Anglais ou faire du kayak en mer et y pêcher des maquereaux.
Je doute hélas que nos technocrates de la santé prennent mes arguments en compte.
Portez-vous bien !
Très contente que vous ayez une excellent santé! pas moi, hélas...
70 ans dans 3 mois et put... de maladie neuro-dégénérative, hélas!
Bonne chance à vous!
Auteur du blog
Désolé Primadona si mon commentaire a pu vous paraître agressif. A 82 ans j'ai la chance de bénéficier d'une santé insolente mais je n'y suis pour rien. Je remercie Dieu de ce privilège qu'il m'accorde dans un but qui m'échappe. En fait je suis comme tout le monde, j'attends la mort qui ne peut être que du repos ou une aventure nouvelle. Ce n'est pas de moi mais vous aurez reconnu un certain Socrate.
Bonne chance à vous aussi tant que l'esprit tient bon le corps suit
Ne vous inquiétez pas! votre commentaire n'est pas agressif! je suis toujours très heureuse de connaître le sentiment de ceux qu'"on" nomme les zagé-es!
"lls" ne se rendent même pas compte que sans nous, "ils" n'existeraient pas!
Je sais bien que sur 5 personnes âgées, au moins deux sont en super bonne forme! et cela remonte le moral,
Cela nous aide à tenir bon et à rêver du retour à bonne santé!
Auteur