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A mourir de rire!

Premier-Avril 1950: "Comment ne pas être tué par une bombe atomique"

L’hebdomadaire français Paris Match, qui a "le plus gros tirage dans les années 1950 avec près de 2 millions d’exemplaires chaque semaine", dont "l ‘impact est considérable" et qui "contribue à structurer les représentation ", propose dans son numéro du 1er avril 1950 une couverture consacrée, comme c’est fréquemment le cas, à l’aristocratie (ici la famille royale de Belgique) mais, dans un unique encadré, bien visible en haut de page, le titre, "Comment ne pas être tué par une bombe atomique", se présente comme un véritable produit d’appel d’autant plus retentissant qu’on sait officiellement, depuis septembre 1949, que l’URSS possède la bombe atomique.

L’article, qui nous intéresse et qui se déploie sur deux pleines pages, est écrit par Richard Gerstell qu’un encadré présente comme "un officier de la marine américaine", "un savant", "docteur en philosophie", "conseiller à la défense radiologique à l’Office de la défense civile des États-Unis".

L’auteur est chargé par le ministère de la défense d’étudier les effets de la radioactivité des essais atomiques de Bikini et d’élaborer des "plans pour la protection de la population civile contre une éventuelle attaque atomique".

L’encadré inséré par la rédaction de Paris Match vise donc à garantir la crédibilité du rédacteur de l’article, un homme de terrain, un scientifique, dont on précise qu’il "a été exposé plusieurs fois aux radiations atomiques et n’en a d’ailleurs pas souffert physiquement (il n’a même pas perdu un cheveu)", qui rend compte de sa frayeur lorsque le compteur Geiger révéla que ses cheveux étaient "plus radioactifs que la limite". Il s’agit donc, du moins est-ce vendu ainsi, du témoignage, de l’analyse d’un témoin de choix; il s’agit d’une information de première main.

Dans les premiers paragraphes de l’article de Match, Gerstell explique avoir eu, dans les premiers temps, "la conviction que la destruction atomique menaçait inévitablement une grande partie de l’humanité".

C’est pourquoi il accueillit favorablement la parution de l’ouvrage de David Bradley, No Place to Hide (1948), qui alertait sur les dangers de la radioactivité. Mais il ne s’appuyait alors, confie-t-il, que sur une "impression"; il manquait de recul. En possession désormais des "rapports complets des expériences de Bikini et des rapports préliminaires des nouvelles expériences atomiques d’Eniwetok", il a désormais "franchement changé d’avis".

L’article publié dans Match vise un objectif: convaincre que la radioactivité, sur laquelle on en sait plus que sur "la poliomyélite ou le rhume", "n’est, au fond, pas plus dangereuse que la fièvre typhoïde ou d’autres maladies qui suivent d’habitude les ravages d’un bombardement".

Fort de son "expérience “Bikini” ", durant laquelle, dit-il, "aucun des 40 000 hommes" qui y participèrent "ne fut atteint par la radioactivité", Gerstell entend mettre un terme aux "légendes" sur les effets de cette dernière (elle entraînerait la stérilité, rendrait des régions "inhabitables à jamais").

 "Tout cela est faux", clame-t-il; la radioactivité est "une menace beaucoup moins grande que la majorité des gens le croient".

Un certain nombre de précautions, de conseils à suivre pour se protéger de la radioactivité en cas d’explosion nucléaire sont livrés aux lecteurs de Paris Match: fermer portes et fenêtres, baisser les persiennes, tirer les rideaux; ôter ses souliers, ses vêtements avant de rentrer chez soi, les laver et frotter; prendre des douches "copieuses" pour se débarrasser des matières radioactives; éviter les flaques d’eau, marcher contre le vent; s’abriter dans une cave, "protection la plus adéquate contre les radiations"…

ON LAISSE LE LECTEUR APPRECIER L’EFFICACITE DE CES MESURES…

Pour se protéger de la bombe elle-même dont "la plupart des dégâts sont causés par les effets indirects de l’explosion",

se coucher à plat ventre, yeux fermés;

pour éviter les brûlures, trouver une barrière efficace (mur, égout, fossé);

porter des "vêtements en coton clair", des pantalons longs, des blouses larges, "un chapeau aux bords rabattus"…

Ainsi, ce témoin, ce "savant", qui étudia l’impact de la radioactivité, rassure-t-il le lectorat français de Match: on peut se protéger de la bombe atomique, des radiations; il suffit d’être précautionneux.

Foin des légendes! Ce regard éclairé, scientifiquement éclairé, s’appuie sur l’expérience, sur Bikini, sur Hiroshima et Nagasaki pour minorer (et c’est peu dire) le danger des radiations, car, c’est bien connu, "les nuages radioactifs à caractère persistant sont vite dissipés dans le ciel";

"la poussière radio-active persistante qui se dépose sur la peau ne paraît pas dangereuse";

"au voisinage immédiat du point d’explosion, une pleine sécurité peut être assurée par 30 centimètres d’acier, 1 mètre de béton ou 1 m 60 de terre. À un kilomètre et demi, la protection nécessaire tombe à moins d’un centimètre d’acier et quelques centimètres de béton".

En avril 1950, l’Américain Richard Gerstell, dont les propos sont relayés en France par l’hebdomadaire Paris Match, niait encore l’impact de la radioactivité.

Auteur - Anne Wattel - Professeur agrégée, Université de Lille

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