Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ce qui confirme la note précédente?

Niveau du français au bac : les illusions perdues

Par Gauvin Buriss
Un article de Liberté scolaire

Beaucoup se sont émus de la réforme du collège. On en aurait presque oublié que cette réforme était accompagnée d’une réforme tout aussi importante du primaire, et qu’elle ne faisait que s’inscrire dans une longue suite, presque une tradition, de réformes qui ont déjà modifié en profondeur la jeune génération, de 3 à 40 ans, génération dont font partie tant les parents des élèves majoritairement concernés par les réformes, qu’une partie de leurs professeurs.

Les parents que l’avenir semble inquiéter devraient en réalité lire de temps en temps les copies de leurs enfants. Car quoi qu’on en dise, la plupart des gens accordent une sorte de reliquat de confiance à l’institution et se fient aux notes. On a beau claironner que " le niveau baisse ", tant que Loulou et Lola ont de bonnes notes, leur niveau, à eux, se maintient certainement.

Le problème de l’école n’est pas pour demain ; il est vieux de plus de 40 ans, et toute une génération de semi-illettrés arrive depuis quelques années déjà sur le marché du travail, ce qui entraîne des problèmes manifestes.

Le terme semi-illettrés semblera un peu fort à d’aucuns qui diront que j’exagère, en parlant ainsi d’élèves qui ont obtenu leur baccalauréat brillamment, souvent avec mention.

J’ouvre une parenthèse. Une question posée au Sénat en 2007 soulevait déjà ce problème des mentions, dont la progression exponentielle aurait pu laisser craindre une "dévalorisation du diplôme". Les chiffres sont les suivants, en % :

1967 mention TB 0,3% mention B 4,4%
1974 mention TB 0,6% mention B 4,6%
1989 mention TB 0,8% mention B 5,1%
1990 mention TB 0,8% mention B 5%
1997 mention TB 1,4% mention B 7,2%
2004 mention TB 3,3% mention B 10,8%
2006 mention TB 4,9% mention B 13,6%

Au sénateur inquiet qui avait posé la question, le Ministère avait répondu que cette "spectaculaire progression traduit une élévation du niveau de formation dans un contexte où le baccalauréat n’est plus conçu comme un diplôme réservé à une élite scolaire mais favorisant l’acquisition par une majorité d’élèves scolarisés d’une culture indispensable à la compréhension du monde moderne et de ses enjeux". Outre que la syntaxe de la réponse peut laisser perplexe, on ne peut que rester dubitatif devant cette réponse. Si le niveau de formation des jeunes avait déjà tant augmenté en 2006, que dire aujourd’hui où près de 15% des bacheliers de S décrochent une mention Très Bien (promotion 2014) ? Pourra-t-on encore communiquer avec des jeunes qui sont si supérieurs intellectuellement à leurs aînés et qui jouissent de telles capacités de " compréhension du monde et de ses enjeux"?

Fermons la parenthèse et jugeons sur pièces.

J’enseigne le français en première S. J’ai donc l’immense privilège de lire chaque année des centaines de pages écrites par ces jeunes qui sont l’avenir radieux et enthousiasmant de notre patrie moribonde. Deux classes de 1èreS, à 38 élèves par classe. 10 notes au trimestre pour chaque classe, soit plus de 1000 copies corrigées par an. Et 66 copies de baccalauréat à corriger cette semaine, toutes de la série S, l’élite de notre pays.

Voici quelques extraits représentatifs, certifiés conformes :

Copie 1: "Le corpus étudier regroupe trois textes, décrivant une scène de mort. Celle d’Hippolyte içut de la pièce Phèdre de Eugène Ionesco et Racine, celle du roi du Roi se meurt d’Eugène Ionesco et celle d’Alexandre le Grand dans le Tigre bleu de l’Euphrate de Laurent Gaudé."

Copie 2: " Dans l’extrait qui est celui de Racine, dattant du XVIIème siècle, l’âge d’or du théâtre, celui ou le théâtre doit obéir à des règles, comme celle de bienséance.
(…) Comparé aux autres oeuvres, Phèdre, la mort n’a pas lieu sur scène. Elle est racconté par Théramène. Racine à choisit d’évoqué cette mort par le récit pour pouvoir rester dans les règles du théâtre aux XVII ème siècle, la mort d’Hippolyte n’en reste pas moins sanglante et héroïque. Puis vient après quelque siècle de nouveau genre théâtraux avec des representations de la mort sur scène différentes.
(…) Mais il abandonne sa quête pour que ses soldats cèssent de se battrent. Ce dénoument se compose tout d’abord d’une prise de pitier ".

Copie 3 : " Depuis le XVIIème s le theatre donne une scene de mort glorieuse comme Racine avec Phèdre jouée en 1677 racontent la mort héroisme de Hippolyte mais petit à petit ils vont se lasser de toujours faire des scène de mort glorieuses comme Eugène Ionesco avec le Roi se Meurt en 1962 et Laurent Gaudé Le Tigre bleu de l’Euphrate en 2002 tout deux vont donner une mort tragique aux personnages principaux. "

Copie 4: "Ici il le dit lui même que c’est un lâche (L.11) qui a echoué dans ça quête (L.12) ici c’est une degradation descendante il va se culpabiliser pour se donner raison de mourir. On aurait dit un enfant comme il le montre L.21 il se represente comme un bébé ici il y a une signification de pureté. l’auteur veux faire passer Alexandre le grand comme un martire qui souffre beaucoup qui ne pense que à mourir mais au fond de lui c’est un monstre qui ne rever de gloire et de ne pas mourir mais que la mort gueter. "

Copie 5 : " Dans le théatre, la mise en scène joue un rôle médians dans la pièce, car le spectateur va chercher à ressentir des émotions et pourquoi se mettre dans la peau du personnage et à le faire frissoner. C’est pourquoi on va se demander pourquoi une pièce doit-elle être bien jouée pour faire ressortir l’émotion qui se trouve dans le texte théâtral ? "

Cet élève courageux a donc choisi le sujet de dissertation. Il poursuit ainsi :

N’oublions pas la musique et les bruits sonores de fond, c’est pour mon avis sans doute le rôle le plus important pour ressentir de fortes émotions dans une scène. Une musique sur le ton mineur suivit de violon ammène un ton très grave à la scène voire émouvoir de la tristesse ou encore de la pitié. Si l’on entend des tambours, cela peut révéler une révélation ".

J’aime bien ce passage ; je le trouve presque poétique.

Après cette envolée musicale et un peu décalée, il retombe, malheureusement :

" Les costumes sont peut-être moins importants mais tout de même il ne faut pas les négliger, cela dépandra de sa qualité, si c’est un costume acheté en grande surface, les finitions seront négligées et ne va donc pas nous plonger complètement dans le dénouement car les costumes vont gêner. "

Le corrigé national nous invite à relever dans le texte " le topos de la belle mort, digne des illustres stoïciens de l’Antiquité ", les " anaphores nombreuses " et la " musicalité et la poéticité du monologue ", et on nous proposait pour la dissertation (portant sur l’émotion créée ou renforcée par la représentation théâtrale) de penser à Renée dans La curée de Zola qui est troublée par le spectacle de Phèdre et aux émotions du jeune héros de Proust lorsqu’il entend la Berma… Donc il aurait fallu que les élèves pensent non seulement à des mises en scène de théâtre mais encore à des romans évoquant une expérience théâtrale vécue par l’un de ses personnages…

Dans le corrigé, on cite Anne Ubersfeld, Maurice Blanchot, Bertold Brecht, Olivier Py et Patrick Chéreau, mais le célèbre vers de Racine y devient " c’est Vénus toute entière à sa proie attachée "…

Ionesco comme vous ne l’avez jamais imaginé !

En écriture d’invention, on demande aux élèves de se glisser dans la peau d’Eugène Ionesco, excusez du peu, et d’écrire à un metteur en scène pour le conseiller et réfléchir avec lui aux enjeux de la représentation théâtrale. Nous devons évaluer la capacité d’analyse de ces jeunes futurs citoyens, leur capacité à construire une pensée et à argumenter, ainsi que leur culture. Nous évaluons encore l’élégance de leur expression, leur faculté à se couler dans la peau d’un grand auteur pour redonner vie à sa pensée, et la pertinence de leurs choix. Cela donne ça :

" Mon très cher ami et metteur en scène Laurent,
je ne te demanderais pas comment tu vas car je connais déjà ta réponse. Je t’écris car, dans ma dernière lettre, j’ai oublié de te donner mes instructions sur les éléments de mise en scène qui accompagnent la mort du roi, et aussi de t’expliquer comment ton actrice doit jouer le rôle de Marguerite. Mais je vais immédiatement corriger cette erreur.
(…)
Désormais tu sais ce qu’il te reste à faire mais méfie-toi, il ne faut pas en faire trop, c’est comme avec l’alcool : avec modération !
Cordialement, Eugène Ionesco.

PS : le roi doit avoir une démarche mécanique et désarticulée et la reine devrait avoir un éventail ça n’a aucun rapport mais je trouve ça assez élégant. "

Mais on a aussi ça :

" Monsieur, je vous écris cette lettre, d’une pour vous remercier de m’avoir convié au répétitions de ma pièces et également pour y ajouter mon grain de sel. J’ai été agréablement surpris de voir que votre vision de la mise en scène soit autant proche de l’idée que je m’en faisait. "

Ou ça :

" Marguerite doit lui dire ce qu’il doit faire. Le roi ne dira pas un mot et écouter Marguerite c’est pour cela qu’elle doit impérativement être persuasive pour pas que le spectateur s’ennui, il faut qu’ils y croient, il ne faut pas qu’elle soit timide et qu’elle est peur de parler fort voire de crier. Cette femme doit avoir de la poigne et se faire respecter. Elle doit apparaître comme une personne manipulatrice. Elle doit accompagner le roi jusqu’au trône pour qu’il meur dignement comme un Roi, il devra avancer doucement sur le tapis rouge pour aller s’assoir sur son trône et s’endormir pour toujours. Le roi n’adressera pas un mort a Marguerite mais doit avoir des expression sur son visage comme verser une larme juste avant de mourir. Je pense que cette mise en scène est très bien pour votre pièce à vous de la mettre en oeuvre je crois en vous. Veuillez agréer à cette lettre et me communiquez vos eventuelles critiques pour que je puisse me corriger et être meilleur; merci de votre compréhension, et je suis en attente de voir votre travail, merci.
Ionesco. "

Alors que l’un des candidats, ému, déplorait qu’Alexandre le Grand, dans le texte de Laurent Gaudé donné à commenter, soit " mort de faim et de soif " sans que personne ne pense à le secourir et qu’aucun médecin n’aide Bérenger Ier quand celui-ci " meurt d’un arrêt cardiaque " dans la pièce de Ionesco, on se demande pourquoi il n’y a plus de vocation enseignante parmi les jeunes générations, et pourquoi 30% des postes offerts au CAPES, en ces temps de chômage et de crise, restent non pourvus. Mais c’est certainement parce que les jeunes manquent d’humour ! Car il n’y a guère de métier plus divertissant… pour peu que l’on aime l’humour noir.

www.contrepoint.org

 

Les commentaires sont fermés.