Le risque qu’Ebola atteigne la France est élevé
Des chercheurs estiment à 75% le risque de voir le virus de la fièvre Ebola atteindre la France d’ici vingt jours, à 50% pour la Grande-Bretagne, mais les systèmes de santé et les conditions de vie ne devraient pas exposer ces pays à des flambées épidémiques comparables à ce qui se passe en Afrique de l’Ouest. Ces projections sont fondées sur les données connues de propagation du virus et sur l’hypothèse d’un trafic aérien inchangé. En modifiant cette variable, le risque décroît. Une réduction de 80% du trafic aérien vers les pays d’Afrique de l’Ouest frappés par la maladie réduirait ainsi le risque à 25% pour la France et 15% pour la Grande-Bretagne.
Calculs de probabilité
“C’est vraiment une loterie”, souligne Derek Gatherer, spécialiste en virologie à l’université britannique de Lancaster. “Si la situation continue en Afrique de l’Ouest et même s’aggrave, ainsi que certains le prédisent, ce ne sera qu’une question de temps avant qu’un malade se retrouve dans un avion à destination de l’Europe”, ajoute-t-il. Ces calculs de probabilité, publiées pour la première fois par le journal médical PLoS Current Outbreaks, sont régulièrement actualisés en ligne sur le site http://www.mobs-lab.org/ebola.html .
Témoignage
http://www.msf.fr/actualite/articles/ebola-pourquoi-je-risque-ma-vie-malades
Des centaines de travailleurs humanitaires expatriés se rendent en Afrique de l’Ouest pour soigner les malades d’Ebola. Parmi eux, Cokie van der Velde vient de quitter le Royaume-Uni pour le Liberia.
Je suis venue pour la première fois au Liberia il y a cinq semaines, et je crois que la situation va de mal en pis. À ce moment-là, nos centres de traitement étaient déjà débordés : nous commencions à installer des malades dans les couloirs.
Au centre, les gens gémissent et hurlent. L’odeur de sang, de diarrhée et de vomi est abominable, et malheureusement, l’odeur des cadavres imprègne tout, elle aussi. Je vous laisse imaginer l’odeur qui peut se dégager d’une pile de corps au bout d’une semaine passée dans une chaleur et une humidité étouffantes. La plupart du temps, on a le cœur au bord des lèvres.
Je suis responsable du contrôle de l’infection, ce qui signifie que ma mission première est de garantir la sécurité des personnes avec qui je travaille, et la mienne. Nous devons porter nos blouses, deux ou trois paires de gants, une combinaison et une cagoule complètement étanches, un masque, des lunettes, et un énorme tablier. Il règne une chaleur et une humidité écrasantes. Quand nous retirons notre attirail et nous retrouvons en simple blouse, c’est comme si on nous versait un seau d’eau sur la tête.
J’essaie de faire le tour des patients, d’aider quand je le peux, et de leur donner de l’eau. Je change les patients, je leur fais leur toilette, et j’essaie tout simplement d’offrir un contact physique à chacun, parce que personne d’autre ne les touche, personne ne s’est approché d’eux depuis des jours. Ils doivent se sentir très seuls, et terrifiés. Je ne sais pas à quel point je peux leur apporter du réconfort, couverte ainsi de la tête aux pieds, avec mon masque et mes lunettes. Quand nous avons des enfants au centre de traitement, ce qui est souvent le cas, j’essaie de leur amener des jouets et de jouer un peu avec eux.
Selon le nombre de personnes décédées, je passe alors à la tâche fort déplaisante de déplacer les corps. Nous les mettons dans des housses mortuaires, que nous étiquetons, et nous les amenons à la morgue. Si la famille veut venir voir un corps pour faire ses adieux, et que rien ne nous en empêche, nous organisons une visite, et j’essaie de faire en sorte qu’elle soit aussi douce que possible. Je dispose des fleurs autour de la housse, et s’il s’agit d’un enfant, des jouets. Je laisse également des jouets avec eux dans la housse quand nous la scellons. Nous ne pouvons pas permettre aux proches de toucher le corps. Ils peuvent uniquement le voir, et ensuite, nous scellons la housse pour toujours. C’est un moment effroyablement triste.
Bien sûr, j’ai peur. Je ne peux pas le nier. La dernière fois que je suis venue au Liberia, je me disais parfois " je crois que j’ai un peu de fièvre ", ou je me réveillais la nuit et je prenais ma température. Si je commençais à avoir légèrement mal à la gorge – l’un des premiers symptômes d’Ebola –, je me mettais à redouter d’avoir contracté le virus. Il y a toujours des risques quand je travaille pour MSF : je peux me retrouver prise sous des tirs croisés, je peux contracter une maladie grave, il y a même des possibilités d'enlèvement. Et en général, j’estime ces risques à environ un pour mille. Pas énorme, donc. Mais je dois admettre que cette fois, quand je me suis posée pour y réfléchir, je me suis dit que le risque était plutôt d’un sur dix.
J’ai fait en sorte que mon testament, les papiers de ma maison, tout soit en ordre. Comme ça, si je devais ne pas revenir, ce sera plus facile à gérer pour mes proches. J’ai des enfants, des petits-enfants, et bien sûr, j’ai envie de faire partie de leur vie, mais ce n’est pas comme si je laissais de jeunes enfants. Je pense que c’est bon, je peux y aller et risquer ma vie. Ma famille comprend. Cela fait 12 ans que j’exerce ce type de travail, et ils ont l’habitude de me voir partir, mais cette fois, c’est beaucoup plus angoissant pour eux. S’ils n’ont pas de mes nouvelles pendant un moment, ils commencent à s’inquiéter, mais ils acceptent que je fasse cela, et d’une certaine manière, ils sont plutôt fiers que j’accepte de risquer ma vie pour aider les autres. L’une des choses que j’apprécie dans mon travail pour MSF, c’est le défi que cela représente. Avant de travailler avec eux, j’étais passionnée d’escalade. C’est certainement un trait de ma personnalité qui me pousse à défier la vie.
Je pars avec MSF en partie parce que je crois profondément qu’il devrait exister une justice sociale dans le monde, une sorte d’égalité. Les personnes que j’aide appartiennent à la race humaine, à l’Humanité. À cet égard, j’estime que nous sommes tous les mêmes. Je me sens autant obligée d’aider un étranger qu’une personne que je connais.
La dernière fois que je suis venue au Liberia, j’ai dû déplacer des centaines de cadavres. Trois personnes seulement ont survécu au cours du mois que j’y ai passé. Je ne crois pas qu’on puisse voir autant de corps sans considérer la mort d’un autre œil. J’essaie de toujours faire en sorte que l’équipe avec laquelle je travaille puisse dire au revoir au patient avant que nous ne le mettions dans la housse mortuaire. Nous essayons de conserver une certaine révérence envers les morts. Même si je ne suis pas croyante, j’espère réussir à amener une forme de spiritualité dans ce moment, et du respect pour le deuil des proches.
À force d’envelopper tous ces corps dans des housses mortuaires, parfois, je ne peux pas m’empêcher d’imaginer qu’un jour, ce sera mon tour. J’y pense surtout au milieu de la nuit. Ça m’a fait réfléchir à ma propre mort, et à ce qui arrivera quand je mourrai. Mais quand la mort occupe une telle place dans votre quotidien, vous acceptez qu’au fond, ce n’est qu’une partie de la vie. Que nous vivons et nous mourrons. Je ne veux pas dévaloriser la vie des gens, mais je crois que ça me ramène à la réalité de la mort, alors que dans notre société, ou du moins dans ma vie, on a tendance à l’ignorer. On sait que ça arrive, mais on relègue ça dans un coin de notre tête. Aujourd’hui, ça occupe le devant de la scène dans la mienne, et j’accepte que mon tour viendra, tôt ou tard.
J’aime mon travail. Je ne crois pas qu’on puisse faire ce que je fais si on n’aime pas son travail. Je ne peux pas dire que j’aime particulièrement travailler avec des corps, mais il règne une franche camaraderie. Il y a de la satisfaction quand on y arrive, et à un moment, nous arriverons à contrôler l’épidémie. Et quand ça arrivera, je m’en réjouirai très sincèrement, et j’éprouverai de la satisfaction à l’idée d’avoir accompli un travail que tout le monde n’aurait peut-être pas pu faire, et d’avoir apporté ma modeste pierre à l’édifice. "