Pourquoi le prix des génériques va augmenter?
Les génériques ont conquis le monde grâce à leur prix bas. Mais une fois éliminés les médicaments princeps et leurs fabricants, un travail de sape réalisé grâce à l’obscurantisme des pouvoirs publics, rien ne va les empêcher d’augmenter leur prix. C’est en fait déjà le cas aux Etats-Unis. Et du fait d’une production qui reste mondialement insuffisante et à flux tendu, ceux qui ne voudront pas payer subiront des ruptures de stock, 500 déjà en France l’année dernière. Voici ce qui nous attend.
Les cardiologues américains n’en reviennent pas. Un très ancien médicament, la digoxine, très largement génériqué a vu son prix tripler en moins de deux années, atteignant dorénavant dans certaines pharmacies, 50 dollars la boite (40 euros). Une évolution inattendue pour les prescripteurs, les patients et les assurances maladies, qui avaient un peu vite oublié les bases fondamentales de l’économie de marché. En France, également certains génériques ont vu leur prix augmenter pour des raisons identiques, sans que cela ne fasse la Une, bien sûr. A quoi faut-il donc s’attendre ?
Les gouvernements, les assurances maladies de chaque pays et les assurances privées ont beaucoup fait pour que les génériques arrivent sur le marché, permettant de réduire le coût des médicaments et donc leurs dépenses, sans jamais faire cependant aucune ristourne au consommateur. Dès qu’un médicament perd son brevet, des génériques de ce médicament apparaissent à des prix 30% à 50% inférieurs en fonction des pays, des prix qui années après années poursuivent une lente mais inexorable descente.
La conséquence première est l’abandon de la production de ce médicament par le laboratoire qui en possédait le brevet. Multipliez ces génériques par 10 ou 100 et vous obtenez logiquement une fermeture des centres de production du pays, et de distribution, un licenciement des visiteurs médicaux, des ouvriers des usines, voir un départ complet des laboratoires pharmaceutiques du pays comme ce fût le cas en Nouvelle-Zélande. C’est aussi ce qu’à révélé le Canard Enchainé à propos du Laboratoire Sanofi. Hier fleuron de l’industrie pharmaceutique française, le CEO de cette compagnie a déménagé à Boston, le centre de recherche de Toulouse a été fermé, et le journal satirique annonçait la presque fin des activités françaises du groupe avec la fermeture de 4 centres de production, de deux centres de distribution, soit la mise au chômage de 2600 personnes, probablement pour une longue durée puisque les autres industriels de la pharmacies ont eux aussi plié bagages. On peut vouloir critiquer une décision industrielle. On doit aussi regarder du côté des politiques qui avaient bien pour objectif en lançant la politique du générique dans les années 90 de substituer une industrie à une autre. C’est chose faite!
Mais est-ce que les millions d’euros “économisés” grâce au générique en France chaque année valaient cela? La fourniture des médicaments génériques est donc dorénavant assurée par des génériqueurs achetant ou produisant leur matière première en Inde ou en Chine. Aux Etats-Unis, seulement 3 compagnies vendent encore de la digoxine, ce médicament générique dont les prix atteignent des sommets : elles ont toutes les trois augmenté le prix de vente aux pharmacies, le doublant en à peine un an. (Evaluate Pharma/London). Ajouté à la marge des pharmaciens, les prix au public ont triplé pour atteindre selon le New York Times la somme de 1,60 dollars le comprimé (1 cp/jour). Et il n’existe aucun substitut à la digoxine.
Et ce n’est pas le seul générique à augmenter : les corticoïdes comme la prednisolone, la thyroxine un traitement indispensable pour l’hypothyroïdie (en rupture de stock récemment en France), ou la simple codéine pour traiter la migraine, tous des génériques, ont doublé leur prix en un an. L’association américaine des pharmaciens a demandé l’ouverture d’une audition au congrès américain sur le prix des génériques, se plaignant que nombre d’entres eux, tous des médicaments indispensables, aient augmenté leur prix entre 600% et 1000% au cours de ces dernières années.
La digoxine représente un cas typique : il n’y a aucune rupture de stock, le nombre de patients n’a pas cru et le produit n’est pas complexe à produire. Ce qui a changé c’est que les génériqueurs veulent définitivement augmenter leurs bénéfices. Ces génériques n’ont rien coûté en recherche et développement. Et on imagine qu’à cause de la présence de plusieurs génériques, il y a une intense compétition sur les prix. Si cela a pu être vrai lors de la création de ces marchés, alors que les génériqueurs étaient en phase de conquête de parts de marché, les études démontrent que cela n’est aujourd’hui plus vrai, explique le Dr. Aaron Kesselheim, professeur d’économie de la santé à Harvard, cité par le New York Times.
Depuis la fin de 2013, de nombreux fabriquants de génériques ont stoppé leur production de digoxine, jugée trop peu rentable du fait des prix bas pratiqués. Il n’existait donc plus que deux producteurs, the Lannett Company et Global Pharmaceuticals (Impax Laboratories), de très petits opérateurs. Covis, une société Suisse a alors lancé un nouveau générique, fabriqué selon les spécifications exactes de l’ancien médicament princeps de GSK, et en a débuté la vente à un prix supérieur. Les autres producteurs ont suivi et augmenté leur prix. Lannet Company, le principal fabriquant de digoxine pour les US, qui réalisait seulement 4,5 millions de dollars de chiffres d’affaire avec sa digoxine, a généré en seulement quelques mois 16,9 millions de dollars de chiffre d’affaire, uniquement en augmentant son prix de vente. Son chiffre d’affaire a cru de 84% sur l’année, sans avoir lancé de nouvelles molécules ni augmenté ses volumes. La commission Fédérale des Marché (US) scrute l’existence de pratiques anti compétitives mais est impuissante face à ces industriels du générique qui sont dorénavant en situation de monopole, une situation créée de toute pièce par les gouvernements ayant mis en place des lois favorables aux génériques et qui ont laminé leur industrie pharmaceutique nationale.
La loi de l’offre et de la demande voudrait alors, une fois des prix hauts retrouvés, que de nouveaux industriels arrivent sur le marché; mais est-ce un investissement qui serait rentable à long terme et combien faudrait-il dépenser pour gagner des parts de marché? Ce monopole de quelques compagnies est parti pour durer.
En France, cette situation commence, à bas bruit, sans que nous en soyons totalement informé. On peut se dire que le gouvernement fixant les prix, ceux-ci n’augmenteront pas. Mais la situation est déjà très clairement illustrée par les ruptures de stocks, plus de 500 sur l’année précédente et en constante augmentation! Le prix actuel des médicaments, et encore plus des génériques, est bas en France. Si une pénurie, une rupture de stock apparait, en particulier sur des médicaments indispensable, comme récemment sur l’extencilline, seul traitement de la syphilis (cf. article Docbuzz), l’ANSM est obligée de chercher des fournisseurs à l’étranger et achète des produits au prix fort. La situation de dépendance du pays vis-à-vis des producteurs indiens et chinois est dorénavant totale. Notre santé a été livrée dans un paquet cadeaux aux génériqueurs. Nos capacités de production ont disparu et il est inimaginable que les médicaments jugés indispensables disparaissent des pharmacies. Les tensions sur la production pharmaceutique vont aller en s’aggravant puisque les pays émergeants sont de plus en plus consommateurs de médicaments, le plus souvent des génériques, payés directement par les patients, un marché potentiellement plus rentable que les prix encadrés des pays développés.
L’ensemble de ce système du générique va nous coûter d’autant plus cher que sa rentabilité réelle n’a jamais pu être démontrée. La place du générique en France n’a été acquise qu’en échange de monnaie sonnante et trébuchante offerte aux professionnels de santé, initialement réticents à bouleverser un système établi et qui fonctionnait correctement sans rupture et sans à-coup. Les 22 000 pharmaciens français rémunérés dorénavant à la performance à convaincre les patients de consommer des génériques, reçoivent pour cela de l’Assurance-Maladie une prime de 3500 euros annuelle en moyenne ; Facture, 240 millions d’euros auxquels s’ajoute la marge additive du générique, 200 millions d‘euros par an. Il faut encore y ajouter les 300 millions d’euros concédés aux médecins généralistes pour prescrire plus de génériques. L’Assurance Maladie dépense donc 750 millions annuellement pour faire prescrire et faire distribuer les génériques. Rajouter à ces dépenses le coût des délégués de l’Assurance Maladie qui visitent médecins et pharmaciens pour vanter les avantages extraordinaires des génériques, puis comptabilisez ce que coûtent à la communauté les milliers d’emplois perdus en France, dans la recherche, le développement, la production industrielle, la vente, etc.
Le générique a permis à l’assurance maladie d’économiser 7 milliards d’euros depuis 2002, moins de 700 millions par an en moyenne. Les centres de recherche, les usines de production et les centres de distribution ferment, les chômeurs s’accumulent. Tout cela est finalement très logique et attendu. Le fruit est mûr. Demain, les génériqueurs augmenteront leurs prix et personne ne pourra rien y faire sinon féliciter nos brillants hommes politiques et tous ceux qui ont soutenu cette catastrophique et coûteuse politique du générique.
Sources
Rapid Price Increases for Some Generic Drugs Catch Users by Surprise
ELISABETH ROSENTHAL
New York Times JULY 8, 2014
Generic Drug Price Spikes Demand Congressional Hearing, Pharmacists Say
NCPA | Jan 08, 2014